Le premier client de la DS, par le Docteur Danche Reprenons. Donc la DS fait sensation au salon en Octobre 1955, et on en monte encore quelques exemplaires à la main. Quelques uns de ces exemplaires sont vendus au public à partir de Décembre 55, et la vraie production de série débouche vers Février 56. Mais qui fut donc le premier, le client originel, le client "alpha", comme on le dit si poétiquement en virologie? Ici les générations précédentes d'experts en DS s'emmêlent un peu les pinceaux. Alors faites monter la bière et les sandwiches, nous allons reprendre l'interrogatoire à zéro:
Les sources Dans "la DS objet de culte", de Fabien Sabates, on trouve ceci.
La première DS, numéro de série 0001, aurait donc été vendue à M Grasset, marchand de vin. Il convient de rester prudent toutefois avant de l'affirmer, car ce qui est dit un peu plus loin dans l'article sur l'histoire de la numero 32 est très imprécis (Voyez ce lien pour la vraie histoire) Le même Fabien Sabates revient sur la première DS et se contredit légèrement dans un autre de ses ouvrages (le guide de la DS - tome rouge). Cette fois-ci, on a donc le prénom, Hubert Grasset. Et il est toujours marchand de vin en gros. Mais le problème, car il y a problème, c'est cette photo de Madame Graciet, parue dans Science et Vie à l'époque. Le texte nous dit que c'est bien son mari le premier acheteur. Mais par contre ça s'écrit Graciet, et non Grasset, et il est directeur de la Société Graciet (de ce côté ça semble se tenir).
La situation s'opacifie encore un peu plus quand on examine ce document interne Citroën. Cette fois-ci c'est un certain Monsieur Gracié qui est désigné comme le "premier acheteur au monde".
Mais la photo d'un autre magazine (l'Argus) nous ramène à "Graciet". Alors? Grasset? Graciet? Gracié? On sent que la tradition orale a pu déformer le nom... Le Docteur Danche vous révèle ci-dessous le pot aux roses.
La révélation du Docteur Danche La première DS vendue au public portait l'immatriculation 2 ER 75. Elle avait le numéro de série 21, et a été immatriculée le 6 Décembre 1955 par la Société GRACIET, rue de Castellane (comme le fameux musée), dans le 8ème. C'est donc bien Science et Vie qui avait raison.
Mais la DEUXIEME DS vendue, portant le numero 3 ER 75, est immatriculée le 17 Décembre par les Ets GRASSET, vins en gros, 8 avenue des grésillons, à Asnières (rappelons qu'à l'époque, la Seine, département 75, s'étendait bien au delà du seul Paris). Et elle portait le numéro de série 29.
Tout bonnement incroyable! C'est la petite histoire dans la grande: les deux premiers clients de DS avaient, par une coïncidence démente, des noms phonétiquement très proches! Les plus affutés d'entre vous auraient d'ailleurs pu constater dès le début de ce dossier que le pied milieu de la voiture de Mme Graciet est strié, tandis que la photo couleur de la DS de M Grasset nous montre un pied milieu lisse, teint aubergine.
Et maintenant, place à la deuxième partie de l'enquête du Docteur Danche. Une DS produite en Décembre 1955 étant quand même très loin d'être au point. Une petite anecdote ci-dessous, pour le plaisir:
On se doute bien que ces deux chefs d'entreprise, Graciet et Grasset, n'avaient pas que ça à faire de s'amuser à voir leur voiture accumuler les gags de ce genre. Alors, combien de temps gardèrent-ils chacun leur voiture?
Réponse: La 2 ER 75 a été revendue le 2 Juin 57: Graciet et sa femme n'en pouvaient plus de leur joujou incontrôlable, et c'est un certain Robert Mylonas qui la récupère. Robert Mylonas, décédé en 2016 à 96 ans, était né le 16/09/1920 au Caire; j'ai trouvé une photo de lui sur internet. Vous ne trouvez pas qu'il se dit qu'il vient de faire une sacrée boulette en reprenant la DS de Graciet? Toujours est il que le 18 Dec 1958, donc un an et demi après l'achat, c'est le retour à la case de départ, la bagnole est rendue à Citroën... qui retrouve un amateur naïf en occasion (peut-être en "Contrôle"?), le 10/4/1959, en la personne de Robert Lamotte, né à Paris le 22/11/1931. Lequel la refilera aux Ets Luchard de la rue Pergolèse en Janvier 62. Il aura donc tenu un peu plus de deux ans. Le mistigri finira sa carrière parisienne quand il sera repris par le garage Bouland (?) et fils, à Ecouché. Sa vie suivante continuera dans l'Orne sous l'identité 186 EC 61.
Celle de Grasset, par contre, la 3 ER 75, partira en Novembre 56 vers la Loire, sous l'identité 305 EA 42. En 1994, pour le numero zero de Citroën Revue (ça ne nous rajeunit pas), Fabien Sabatès retrouva M Grasset, et put l'interviewer. Voici les points saillants: - elle était immatriculée 3 ER 75 (exact) Mais ça ne correspond pas, car il n'y a pas de Vendredi 13, pas plus en Novembre 55 qu'en Décembre 55.
Mais en revanche, il y en a un en Janvier 56
On l'a vu plus haut, l'article de l'Argus disait "Deux mois jour pour jour après l'ouverture du salon, Citroën a livré Mardi sa première DS19 à M Graciet". Mardi 6 Décembre 1955 donc, c'est la livraison de
la 2 ER 75, la véritable première. Il y a à ce stade deux hypothèses: - Soit H Grasset a commis une erreur supplémentaire, et c'est le 17 Décembre (comme l'immatriculation) qu'il est allé chercher sa voiture - Soit cette histoire de Gina et de Vendredi 13 est vraie. Auquel cas c'est en fait le 17 Janvier 56 que Hubert Grasset a emporté la numero 29 (qui avait été immatriculée à son nom depuis Décembre). Il y aurait donc eu un mois de décalage entre les livraisons des deux voitures 2 ER 75 et 3 ER 75.
En tout cas le 15 Novembre 56 il la revendra. Dégoût de la technologie? L'interview ne le laisse pas transparaitre et indique qu'il changeait de 15 tous les ans. Nul doute que le destin de l'immense majorité des toutes premières DS fut similaire: achetées neuves par des notables, gardées un an ou deux, puis vite refourguées... Sans parler de celles qui ne résistèrent pas bien longtemps aux surprises de la conduite.
La liste des DS millésimes 56 aujourd'hui survivantes est donnée sur ce lien.
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